Journée pour les droits des femmes : vive les reines !

Par Marine
679 vues

Le 8 mars célèbre la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Tandis que le discours féministe fait de la femme une immémoriale soumise à l’homme, le biographe Jean des Cars raconte dans sa « saga des reines » le destin de 12 souveraines qui ont écrit des pages essentielles de l’histoire. L’imper’média publie les bonnes feuilles de cet essai roboratif. 

On entend régulièrement les féministes affirmer que les femmes n’ont pas eu de place dans l’histoire. Une vision manichéenne selon laquelle, toute épouse, mère, fille, soeur, paysanne, aristocrate, artiste ou femme de lettre aurait été éprouvée par des siècles de Patriarcat, semble être communément admise. Les femmes, incapables de briller pour ce qu’elles ont fait – tant il était convenu qu’elles devaient rester à leur place, dans l’ombre du « premier sexe » – n’auraient joué aucun rôle dans la fondation des sociétés occidentales. Le biographe Jean des Cars vient casser ces poncifs misogynes, offrant une toute autre grille de lecture de l’histoire. De Catherine de Médicis, à Eugénie en passant par Elisabeth Ier d’Angleterre et Marie-Antoinette, cette « Saga des reines » fait le récit de la vie de douze femmes qui ont influé sur les destinées de leur pays et de leurs peuples, parfois en dépit de l’opinion de leurs contemporains. Reines en titre représentant le sommet de l’État, épouses de monarques ou Régentes, elles ont marqué leur époques, forgés des ententes, ourdis des complots, affronté des luttes successorales, déclenché des guerres, recherché ou obtenu la paix, rayonné par leurs action, leur intelligence ou simplement leur charme.

  •  Catherine de Médicis 

« Si, pour l’histoire, elle reste associée à la pire horreur des guerres de religion, le massacre de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572, Catherine de Médicis n’en est pas la seule responsable. Cette reine mère, épouse puis veuve d’Henri II, sans aucun pouvoir officiel, n’existe que par l’influence qu’elle a exercée sur ses enfants, trois rois de France et une reine de Navarre.  Rien ne destinait cette descendante de marchands florentins à gouverner la France. Sa famille ? « Des roturiers, des banquiers […] des agitateurs, sortes de tribuns de la plèbe portés au pouvoir par une insurrection populaire, voilà ce qu’étaient les Médicis vers 1470. »

(…)

Catherine de Médicis n’est pas jolie, elle a même plutôt un physique ingrat, mais elle est très intelligente et cultivée. De Clément VII, elle a hérité l’amour des arts sinon des lettres. Elle connaît le latin, le grec ; elle a appris les mathématiques, l’astronomie et, bien sûr, se passionne pour l’astrologie. Elle est aussi une excellente cavalière et aime la chasse. Mais elle a surtout vécu dans le grand raffinement artistique de l’Italie de la Renaissance. Elle a résidé dans de magnifiques palais dont elle gardera le goût de la construction, du décor, du luxe et des fêtes éblouissantes. Elle aime aussi la musique et la poésie.

  • Elizabeth Ier d’Angleterre

« S’il est un mot qu’elle entendra toute son enfance et qui va altérer sa vie, c’est celui de  » bâtarde « . Une gifle humiliante, une insulte infamante, qui n’empêchera pas cette fille d’Henri VIII et d’Anne Boleyn de hisser son royaume au premier rang des puissances européennes à la fin du XVIe siècle. Shakespeare, l’un de ses sujets dont l’œuvre magistrale symbolise l’époque que l’on qualifiera d’ » élisabéthaine « , ne pouvait qu’être fasciné par ce destin romanesque d’une princesse de la Renaissance encombré d’amours scandaleuses, de rivalités familiales, de querelles religieuses et de luttes politiques. Elle est le dernier grand monarque absolu d’Angleterre qui ait régné et gouverné, concentrant tous les pouvoirs dans un dessein d’efficacité et de grandeur. Une icône, mystérieuse et réputée inaccessible, dans une période brillante en dépit de bouleversements mondiaux.

(…)

Proclamée reine le 17 novembre 1558, elle accède au trône à 25 ans. Elle peut désormais embrasser sa religion ; son attachement au protestantisme inspirera toute sa politique, aussi bien intérieure qu’extérieure. À ce choix s’ajoutent le machiavélisme de son père et sa hardiesse dénuée de scrupules, sa force, son goût de la splendeur. Mais Elizabeth a aussi hérité de sa mère, en particulier son magnétisme, son art du mensonge et son air provocant. D’une intelligence rare, la reine a le don de juger les hommes et les événements. Elle est pragmatique. Comme son père Henri VIII, elle est très consciente de l’avantage que représente une Église autocéphale et qui reflète un sentiment national. Quelle que soit sa croyance personnelle, même s’il lui arrive d’être sceptique, elle conçoit le protestantisme comme le ferment d’un patriotisme vigoureux. À la grande satisfaction du Parlement et du peuple ayant adopté l’anglicanisme, elle refuse donc l’offre de mariage du roi d’Espagne Philippe II, veuf distant de Marie Tudor.

(…)

Après la proposition de mariage de Philippe II, la reine a éconduit plusieurs prétendants, dont l’archiduc Charles de Habsbourg, fils de l’empereur Ferdinand et oncle de Philippe II. Plus tard, elle déclinera aussi la candidature du duc d’Alençon, frère du roi de France Henri III qui n’a pas d’enfants, donc héritier potentiel du trône, qui séjourne à Londres du 17 au 29 août 1579. Le cœur de Sa Majesté n’en battra pas plus vite et ce projet d’alliance des deux côtés de la Manche restera lettre morte. Il faut remarquer que l’idée de ce mariage n’était qu’un fantasme diplomatique puisque, lors de leur première rencontre, Elizabeth avait 46 ans et le duc d’Alençon 24. Pour lui, Elizabeth était donc une femme trop âgée et la possibilité d’avoir un héritier se trouvait très compromise. Le duc était aussi le plus jeune et le plus laid des enfants d’Henri II et de Catherine de Médicis, le visage gâté par un nez énorme et boursouflé ; il était de plus aussi turbulent que fantasque. François d’Alençon devait mourir le 10 juin 1584, miné par la tuberculose. Elizabeth, en souvenir de ses longues  » fiançailles « , avait envoyé une lettre de condoléances à Catherine de Médicis :  » Madame, votre regret ne peut surmonter le mien. Il vous reste un enfant [Henri III], mais je ne trouve la consolation qu’en la mort qui, j’espère, me le fera bientôt rencontrer. «  On peut douter de la sincérité d’Elizabeth, mais elle se posait avec beaucoup de talent en fiancée éplorée à l’âge de 51 ans. »

  • Christine de Suède 

« Elle est la fille du plus grand conquérant de l’histoire suédoise, le roi Gustave II Adolphe, et d’une princesse allemande, née Holstein-Gottorp, fille de l’Électeur de Brandebourg. Le couple s’adore et Marie-Eléonore suit son époux dans toutes ses campagnes. Leur fille Christine a sans doute été conçue dans l’actuelle Estonie, à Tallinn, qui s’appelait alors Revel. À sa naissance, le 8 décembre 1626, personne n’ose annoncer à son père qu’il vient d’avoir une fille, car il espérait un garçon. Mais peu lui importe sa déception : il la prend dans ses bras et proclame, d’une voix forte :  » Cette fille vaudra un garçon ! «  Et il la traitera toujours comme un fils, l’emmenant souvent dans les camps auprès de ses soldats et lui apprenant très tôt le maniement des armes. Lui-même commandait déjà un détachement militaire à l’âge de 15 ans et administrait un duché avant de s’engager dans trois conflits contre le Danemark, la Russie et la Pologne. On comprend pourquoi Christine de Suède aura toujours une immense admiration pour son père doté d’une forte personnalité, regrettera de ne pas être un homme et méprisera les femmes, peut-être parce qu’on lui révélera qu’en voyant l’enfant qu’elle venait de mettre au monde, sa mère, dépitée, aurait soupiré :  » Elle est basanée comme une petite Maure !  »  

(…)

Elle a une voix plutôt masculine qui rappelle celle de son père, dont elle a aussi le grand nez. Son allure négligée et audacieusement virile choque. Mais ses yeux gris-bleu révèlent son intelligence et son autorité. Elle séduit par sa vivacité d’esprit. Rejetant toute féminité, elle se juge ainsi :  » J’ai une aversion et une antipathie invincibles pour tout ce que font et disent les femmes. Irascible, fière et railleuse, je ne fais grâce à personne. Je suis incrédule, fort peu dévote et mon tempérament ardent et impétueux ne m’a pas donné moins de penchant pour l’amour que pour l’ambition ; cependant, j’ai toujours résisté, mais uniquement par fierté et pour ne me soumettre à personne. «  Et encore cet aveu d’une cinglante provocation :  » J’aime les hommes non parce qu’ils sont des hommes, mais parce qu’ils ne sont pas des femmes ! «  Pour parfaire son apparence de héros viril, la reine se fait couper les cheveux en brosse, ce qui cause un joli scandale ! Peu lui importe : Sa Majesté Christine est  » un roi  » ! »

  • Marie-Thérèse de Habsbourg-Lorraine 

« Il faut en retenir le portrait, plutôt flatteur, que dresse l’ambassadeur prussien à Vienne, le comte de Podewils, au moment où l’intrépide fille de Charles VI entre sur la scène politique européenne :  » Marie-Thérèse a la démarche aisée et le port majestueux, sa silhouette est imposante, sa figure ronde et pleine, ses cheveux sont blonds avec une pointe de roux, ses yeux très grands pleins de vie et de douceur, d’une couleur bleu foncé, font impression. Son nez régulier n’est ni arqué ni camus. Ses dents blanches se montrent de la façon la plus charmante quand elle rit. Bien que grande, sa bouche est plutôt jolie. Elle a la nuque et la poitrine bien faites et ses mains sont délicieuses. «  En résumé, la jeune Marie-Thérèse est plutôt bien de sa personne et elle a du charme, l’arme absolue. Elle a même conservé la fraîcheur de ses 10 ans. Elle parle et écrit un allemand cocasse, un français estropié (ce que Frédéric II ne peut lui pardonner !), apprécie l’italien – et tout ce qui vient d’au-delà des Alpes –, s’exprime aussi en latin, langue très juridique que son époux massacre, mais qui lui permet de percer l’emprise intellectuelle des jésuites.

(…)

Très représentative de son époque, le siècle des lumières, elle en épouse les idées avec souplesse et pragmatisme. Soucieuse de renforcer l’autorité de l’État par la centralisation et le développement d’une administration enfin efficace, elle a vite écarté son excellent époux du pouvoir réel. Elle l’aime, l’accompagne à la chasse, apprécie qu’il surveille l’éducation de leurs enfants (le dernier, Maximilien-François, est né en 1756, un an après Antonia, la future Marie-Antoinette) et encourage ses travaux en sciences naturelles qui sont déjà une passion chez les Habsbourg. L’impératrice crée diverses institutions, en particulier le  » Theresianum  » en 1766, ancêtre de notre École nationale d’administration ».

  • Catherine II de Russie 

« Les dix-huit premières années de sa vie, la grande-duchesse Ekaterina a été tenue à l’écart du pouvoir, mais elle a beaucoup appris. Son apparente soumission n’était qu’un patient apprentissage. Consciente que ses origines germaniques peuvent la desservir au moindre faux pas, elle avoue que son cerveau  » est plus mâle que femelle « . Son sens de l’État et sa parfaite maîtrise d’elle-même vont l’aider à dissoudre les réticences internes, d’autant que cette travailleuse acharnée ne prend jamais une décision sans avoir été complètement instruite de l’affaire, mais sans perdre de temps. Catherine II sait bien que le véritable adversaire des Russes n’est ni la Prusse, ni la Suède, ni même l’Empire ottoman, mais la paresse qui engourdit l’immense Russie dans l’immobilisme.

(…)

Elle ne se repose jamais. Escortée de ses deux petits lévriers anglais, elle étudie en permanence les affaires de l’État, écrit continuellement (même des pièces de théâtre pour l’éducation du peuple) et ne s’attarde guère à table – bien qu’elle mange avec une surprenante lenteur –, à 14 heures pour le déjeuner, à 21 heures pour le souper. À son entourage, elle explique que c’est pour mieux reconstituer ses forces. Elle en a besoin, car sa politique étrangère la conduit à mener des guerres d’expansion sur les deux fronts qui seront une constante dans les visées de l’Empire russe : d’abord la Pologne, qu’elle annexe en partie, puis des victoires contre la Suède en mer Baltique, et enfin l’ouverture sur la mer Noire, le vieux rêve de Pierre le Grand. Avec Potemkine et Souvorov qui battent les Ottomans, la Russie s’empare, en 1783, de la Crimée et poursuit la colonisation de l’Ukraine où seront aménagés les ports de Sébastopol et d’Odessa. De 1788 à 1795, la Russie de Catherine II se hisse au rang de l’État le plus puissant et le plus peuplé d’Europe. Saint-Pétersbourg se mue en une authentique capitale politique et diplomatique ; la tsarine lui confère également un rôle définitif de métropole artistique, bien qu’elle semble préférer le faste à la création. L’éblouissante cité est la marque indélébile de l’un des plus glorieux règnes des Romanov (germanisés !), l’un des plus bénéfiques pour la Russie et certainement l’un des plus brillants de l’histoire européenne. La Grande Catherine ne s’interdit aucun sujet, abordant le monde avec une curiosité boulimique ».

  • Marie-Antoinette

« Après l’exécution de Louis XVI, Marie-Antoinette obtient de porter le grand deuil. Elle est désormais appelée la  » veuve Capet « . Le 3 juillet 1793, on lui enlève son fils, qu’elle appelle Louis XVII, confié au ménage du cordonnier Simon qui a mission d’en faire un parfait sans-culotte. Le 5 août, elle est conduite à la Conciergerie. Elle sait que son procès, une triste parodie de justice, n’aboutira qu’à sa mort. Mais le 12 octobre, devant le tribunal révolutionnaire, cette femme fait preuve d’une ferme dignité. Aux accusations politiques, souvent fondées, se mêlent des calomnies abominables allant jusqu’à l’inceste avec son fils. Courageusement, elle réfute ces allégations sordides.  » J’en appelle à toutes les mères ! «  lance-t-elle, impressionnant l’auditoire. Elle se défend avec une rare énergie et retourne la salle en sa faveur lorsqu’elle conteste les horreurs qu’on lui impute ».

  • Eugénie 

« Une légende, tenace, veut que l’impératrice se soit toujours trompée en politique, qu’elle soit coupable de tout, aussi bien de n’avoir su garder son mari que d’avoir encouragé la guerre de 1870-1871, et d’être donc responsable de la défaite, du siège de Paris, de la Commune et de l’occupation de l’Alsace-Lorraine par l’Empire allemand, justement fondé sur les ruines de la France vaincue. Un faux document, validé par Thiers qui n’aimait pas Eugénie, a fait courir la rumeur que l’impératrice aurait dit, en juillet 1870 :  » C’est ma guerre. «  La vérité est autre : l’opinion voulait la guerre et la cantatrice Hortense Schneider, figure de La Vie parisienne, fanfaronnait :  » Dans trois semaines, je chanterai à Berlin pour Napoléon III. «  Après Sedan, on l’oublia. En attendant que la désinformation soit démasquée, la calomnie avait tracé son sillon de haine. Eugénie était un nouveau bouc émissaire.

(…)

Il faut pourtant reconnaître les actions exemplaires de cette impératrice si mal-aimée, en dehors de son parfait rôle de maîtresse de maison lors des fameuses  » séries de Compiègne « . Par souci d’organisation, elle y avait inventé le carton suspendu à l’extérieur de la chambre indiquant l’heure et la commande du  petit déjeuner. Outre la Légion d’honneur qu’elle obtient pour Gustave Flaubert (ce qu’il a eu tendance à oublier !) et son déplacement pour décorer elle-même la peintre Rosa Bonheur dans son atelier en forêt de Fontainebleau, Eugénie soutient l’empereur dans la création des « fourneaux économiques », distribuant plus d’un million de repas chauds aux gens les plus misérables. N’est-ce pas l’ancêtre des  » Restos du cœur « , ce qui est également oublié ? L’impératrice défend le programme du ministre de l’Instruction publique Victor Duruy et obtient qu’un enseignement primaire et secondaire soit enfin dispensé aux jeunes filles. Elle ira même plus loin en créant la fondation Eugène-Napoléon, dans le quartier Saint-Antoine, pour que des adolescentes apprennent un métier et se constituent un pécule. Mais ce qui apparaît sans doute comme sa plus grande originalité, c’est le fait d’avoir compris l’importance des recherches de Pasteur, installé près du parc de Saint-Cloud et dont les expériences affolaient les villageois. Eugénie oblige l’empereur à visiter le laboratoire de Pasteur et à l’aider financièrement. Au moment du désastre, le 3 septembre 1870, Pasteur ne perdra pas la mémoire et enverra à l’impératrice régente abandonnée un télégramme de gratitude envers Napoléon III qui tempère les sarcasmes de Victor Hugo ».

 

La saga des reines – Jean des Cars, Perrin, 25 €.

 

Photo : Marie Antoinette reine de France de Jean Delannoy avec Michele Morgan et Richard Todd 1956.

Crédit : capture d’écran Youtube.

ça pourrait aussi vous interesser

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que cela vous convient, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire Plus