Les réactions après le retrait de la Turquie de la convention d’Istanbul contre les violences infligées aux femmes

Par Marine
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Les rues d’Ankara étaient le théâtre de manifestations ce week-end contre la décision du président Erdogan de se retirer de la Convention d’Istanbul qui réprime les violences infligées aux femmes. Si certains voient dans cette décision un recul des droits des femmes, Erdogan semble poursuivre son dessein nationaliste.

Plusieurs milliers de personnes ont manifesté samedi 20 mars en Turquie pour exprimer leur réprobation à la décision unilatérale de Recep Tayyip Erdogan de retirer son pays du traité d’Istanbul. C’est par un décret publié dans la nuit de vendredi à samedi, que le chef de l’État turc a annoncé que la Turquie ne ferait dorénavant plus partie de ce traité international du Conseil de l’Europe. Il s’agit du premier texte qui fixe des normes juridiquement contraignantes dans une trentaine de pays pour prévenir les violences infligées aux femmes, et qui contraint les gouvernements à adopter une législation réprimant les violences domestiques et autres abus du même ordre – comme le viol conjugal et la mutilation génitale féminine. Pour justifier ce retrait, le chef de l’État a argumenté en faveur de l’unité de la famille, ce décret pouvant encourager les divorces.

Le verdict est tombé comme un véritable coup de massue. Personne ne semblait s’y attendre. Un éditorialiste du quotidien laïc et kémaliste Sözcü a affirmé que « le pouvoir avait pourtant annoncé il y a deux semaines de nouvelles mesures en faveur des droits de l’homme. » On peut lire dans un récent article de Slate que lors d’une cérémonie rassemblant toutes les autorités du pays au palais présidentiel d’Ankara le 2 mars, Erdogan avait présenté un « plan d’action pour les droits de l’Homme ». Ce plan se composait de « onze principes, neuf buts essentiels, cinquante objectifs, 393 mesures » afin que « les individus soient plus libres, la société plus forte et la Turquie plus démocratique ».

Les hommes et les femmes ne peuvent être traités de la même façon, c’est contre nature. 

Le peuple turc semblait s’attendre à des changements allant en faveur du droit des femmes, surtout que la décision de Erdogan intervient à une période ou le pays enregistre de plus en plus de décès liés à des violences conjugales. Les manifestants qui s’opposent à ce retrait ont brandi ce week-end des portraits de femmes assassinées sous les coups de leur partenaire, ainsi que des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Ce sont les femmes qui gagneront cette guerre. » L’éditorialiste politique considère, quant à lui,  que « c’est un jour de fête pour les maris violents et pour les meurtriers des femmes ». Il poursuit son tweet en soulignant que 300 femmes sont mortes assassinées en 2020 en Turquie.

Il y a 10 ans, avec à sa tête le président Abdullah Gül, le pays faisait pourtant office de précurseur en devenant le premier État membre à ratifier en 2012 cette Convention du Conseil de l’Europe qui offrait un cadre juridique contraignant vis-à-vis des États signataires. Mais Erdogan qui est a la tête de la Turquie depuis 2014 n’a jamais caché sa position à l’égard des sexes : « Les hommes et les femmes ne peuvent être traités de la même façon, c’est contre nature. » avait-il affirmé le 24 novembre 2014 à l’occasion d’un sommet sur la justice et les femmes à Istanbul.

Les réactions de réprobation en provenance des quatre coins du globe se sont fait entendre. Le Conseil de l’Europe a regretté « une nouvelle dévastatrice » qui « compromet la protection des femmes » en Turquie. « Voici le vrai visage du gouvernement turc actuel : mépris complet pour l’État de droit et recul total pour les droits humains », a dénoncé sur Twitter, le rapporteur du Parlement européen vis-à-vis de la Turquie, Nacho Sanchez Amor.

Une volonté de renforcer le modèle de la famille turque

Cela « envoie un mauvais signal à l’Europe, mais surtout aux femmes turques », a estimé le ministère allemand des affaires étrangères. « Ce recul des droits est préoccupant », a déploré le secrétaire d’Etat français aux affaires européennes, Clément Beaune. Le président des États-Unis, Joe Biden, a également réagi dimanche à la décision turque, se disant « profondément déçu », et déplorant « un pas en arrière extrêmement décourageant pour le mouvement international contre les violences faites aux femmes ».

Pour répondre à l’ensemble de ces commentaires négatifs, le gouvernement turc s’est justifié en précisant qu’il n’a pas besoin d’un tel traité pour que les femmes soient respectées. La Constitution et la réglementation intérieure de la Turquie seront la « garantie des droits des femmes », assure Zehra Zümrüt Selçuk, ministre de la Famille, du Travail et des Services sociaux, selon l’agence de presse Anatolie.

Erdogan avait déjà déclaré publiquement qu’en vertu de la loi coranique, la femme a pour missions de devenir mère et d’élever les enfants. Ainsi, en faisant disparaitre de la législation de son pays, la répression contre les violences faites aux femmes, Erdogan n’entend pas réduire l’égalité entre les hommes et les femmes, il souhaite renforcer le modèle de la famille turque et ainsi faire progresser l’Islam.

 

  • Crédits photo : Pixabay.

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